1671
David Téniers le Jeune
(1610-1690)
Paysage
à
Villemoisson-sur-Orge
la chaumière du receveur
8 Septembre 1671
Déclaration passée devant L’héritier,
notaire en la
prévôté de Montlhéry faite
par
Christophe Joguet
à M.
de Noailles Seigneur de Ste Geneviève des Bois
et Villemoisson
d’une
maison et lieux sis audit Villemoisson consistant
en :
un pavillon dans lequel il y a deux chambres, cuisine,
salle, deux chambres hautes, grenier, cour. Le tout couvert de tuiles, grange,
écurie, vacherie, pressoir, volet à pigeons, poulailler, jardin et clos sur le
derrière planté d’arbres fruitiers, vignes et bois de futaye. Le tout contenant
en fond de terre 11 arpents ou environ. Tenant d’une part à la rue ou chemin
qui conduit du dit Villemoisson à la chaussée du Breuil .
une petite maison et lieux, proche et à l’opposite de celle
cy-dessus, contenant deux espaces couverts de chaume, chambre basse à feu,
foulerie, cour. Tenant d’une part à la rue, d’un bout au dit Joguet »
différentes terres et vignes.
Le texte reproduit ci-dessus est mentionné par M. Claude
Audigié sur son site Internet « Connaissez-vous Villemoisson ?
» à la page qu’il consacre au Manoir du Vieux Logis. Cette déclaration
de Christophe Joguet, receveur des tailles en l’élection de Clamecy, est actuellement ce qu’on connaît de plus
ancien sur le sujet. Elle décrit un état des lieux bien éloigné de ce qui est
aujourd’hui.
Sur le site de M. Audigié on peut suivre l’évolution des
choses et, en particulier, que le pavillon de 1671 est devenu maison
bourgeoise en 1768. A cette dernière date, dans la cour, on
trouvait encore : grange, écurie, remise, vacherie, toits à porcs,
poulaillers, greniers ainsi que le logement du jardinier. Les toits étaient
couverts de tuiles et de chaume.
Ce qui ne fait pas de doute est qu’en 1671, Villemoisson
était un tout petit village et que la maison du receveur se trouvait à
l’extrémité ouest du groupe central d’habitations. Des chambres hautes, le
percepteur devait avoir une vue étendue sur les environs, les vignes, champs
vergers et vignes. Avec des couchers de soleil superbes derrière le château de
Montlhéry.
Dessin du Bourg de Montlhéry
par De La Pointe - Deuxième moitié du XVIIè siècle
Document : Montlhéry sur Internet
1671, etc.
notre cher et bien aimé Jean Baptiste
Lully…
Lully Gravure de Bonnart Document
B.N.F.
Ses ouvrages brillants
de charmes inouïs
L’ont fait
prendre icy bas pour Dieu de l’harmonie
Quelle gloire ! il
la doit à son rare génie ,
Mais pouvoit-il moins
faire, il chantoit pour Louiïs
Pour
accompagner cette page, la musique de Jean-Baptiste Lully s’impose. En effet,
il est en1671 Surintendant de la musique du Roy. Il règne en maître incontesté
sur la musique. Il vient en 1670 de
présenter à Chambord devant Louis XIV en collaboration avec Molière Le
Bourgeois Gentilhomme. En 1672, Louis XIV confiera à son « cher et
bien aimé Jean-Baptiste Lully » la charge « d’establir une
académie Royale de Musique en notre bonne ville de Paris ». Le musicien acquerra ainsi le monopole de
l’Opéra et de la musique pour toute la France.
La
Marquise de Sévigné
1671 J’avais dessein de vous
conter..
La Marquise de Sévigné au cours de
ses nombreux voyages est sans doute passée à Montlhéry et peut-être même à Villemoisson,
tout près de la maison de Monsieur Joquet. En tout cas, le 24 avril 1671, au
soir, elle était à Paris chez M. de la Rochefoucauld d’où elle écrvit à sa
fille la fameuse lettre qui annonce la mort de Vatel, le grand Vatel , maître
d’hôtel du Prince de Condé.
On sait que ce dernier avait invité
son cousin, Louis XIV, en son château
de Chantilly et que celui-ci y était venu avec toute sa cour participer aux
fêtes, repas et feux d’artifice organisés en son honneur et qui devaient durer
trois jours et trois nuits. Vatel, son maître d’hôtel avait été chargé
d’organiser les réjouissances.
Tout le monde sait aussi –on
l’apprend aux enfants dès la maternelle- qu’à l’issue de ces festivités Vatel
s’est suicidé parce que la « marée n’était point arrivée ». On
en a fait un livre. Et aussi un film. Avec Depardieu. Tout que qu’on sait sur
cette affaire – et personne n’en sait rien de plus - est contenu dans les deux
lettres qu’on va lire ci-après. Avec tout son talent, la marquise y raconte ce
que lui a rapporté un gentilhomme de l’entourage du Prince de Condé. Un
événement littéraire devenu historique.
Voilà la première lettre :
Paris, ce vendredi au soir, 24e avril 1671, chez M. de La
Rochefoucauld
Je fais donc ici mon paquet.
J'avais dessein de vous conter que le Roi arriva hier au soir à Chantilly. Il
courut un cerf au clair de la lune ; les lanternes firent des merveilles. Le
feu d'artifice fut un peu effacé par la clarté notre amie, mais enfin le soir,
le souper, le jeu, tout alla à merveille. Le temps qu'il a fait aujourd'hui
nous faisait espérer une suite digne d'un si agréable commencement. Mais voici
ce que j'apprends en entrant ici, dont je ne puis me remettre, et qui fait que
je ne sais plus ce que je vous mande : c'est qu'enfin Vatel, le grand Vatel,
maître d'hôtel de M. Foucquet, qui l'était présentement de Monsieur le Prince,
cet homme d'une capacité distinguée de toutes les autres, dont la bonne tête
était capable de soutenir tout le soin d'un État ; cet homme donc que je
connaissais, voyant à huit heures, ce matin que la marée n'était point arrivée,
n'a pu souffrir l'affront qu'il a vu qui l'allait accabler, et en un mot, il
s'est poignardé. Vous pouvez penser l'horrible désordre qu'un si terrible
accident a causé dans cette fête. Songez que la marée est peut-être ensuite
arrivée comme il expirait. Je n'en sais pas davantage présentement ; je pense
que vous trouverez que c'est assez. Je ne doute pas que la confusion n'ait été
grande ; c'est une chose fâcheuse à une fête de cinquante mille écus.
M. de Menars épouse Mlle de La
Grange Neuville. Je ne sais comme j'ai le courage de vous parler d'autre chose
que de Vatel.
Le Château de Chantilly vers 1680
La
seconde lettre explique et commente. On s’y croirait..
Paris,
ce 26 avril 1671.
Il est dimanche 26 avril ; cette lettre ne partira que mercredi,
mais ce n'est pas une lettre, c'est une relation -que vient de me faire
Moreuil, à votre intention, de ce qui s'est passé à Chantilly touchant Vatel.
Je vous écrivis vendredi qu'il s'était poignardé ; voici l'affaire en détail.
Le Roi arriva jeudi au soir. La chasse, les lanternes, le clair
de la lune, la promenade, la collation dans un lieu tapissé de jonquilles, tout
cela fut à souhait. On soupa. Il y eut quelques tables où le rôti manqua, à
cause de plusieurs dîners où l'on ne s'était point attendu. Cela saisit Vatel.
Il dit plusieurs fois : " Je suis perdu d'honneur ; -voici un affront que
je ne supporterai pas. " Il dit à Gourville : " La tête me tourne, il
y a douze nuits que je n'ai dormi. Aidez-moi à donner des ordres. "
Gourville le soulagea en ce qu'il put. Ce rôti qui avait manqué, non pas à la
table du roi, mais aux vingt-cinquièmes, lui revenait toujours à la tête.
Gourville le dit à Monsieur le Prince. Monsieur le Prince alla jusque dans sa
chambre et lui dit : " Vatel, tout va bien ; rien n'était si beau que le
souper du Roi. " Il lui dit : " Monseigneur ! votre bonté m'achève ;
je sais que le rôti a manqué à deux tables. Point du tout, dit Monsieur le
Prince ; ne vous fâchez point : tout va bien. " La nuit vient. Le feu
d'artifice ne réussit pas ; il fut couvert d'un nuage. Il coûtait seize mille
francs. A quatre heures du matin, Vatel s'en va partout ; il trouve tout
endormi. Il rencontre un petit pourvoyeur qui lui apportait seulement deux
charges de marée ; il lui demanda : " Est-ce là tout ? " Il lui dit :
" Oui, monsieur. " Il ne savait pas que Vatel avait envoyé à tous les
ports de mer. Il attend quelque temps ; les autres pourvoyeurs ne viennent
point. Sa tête s'échauffait ; il croit qu'il n'aura point d'autre marée. Il
trouve Gourville et lui dit : " Monsieur, je ne survivrai pas à cet
affront-ci ; j'ai de l'honneur et de la réputation à perdre. " Gourville
se moqua de lui. Vatel monte à sa chambre, met son épée contre la porte, et se
la passe au travers du coeur, mais ce ne fut qu'au troisième coup, car il s'en
donna deux qui n'étaient pas mortels ; il tombe mort. La marée cependant arrive
de tous côtés. On cherche Vatel pour la distribuer. On va à sa chambre. On
heurte, on enfonce la porte, on le trouve noyé dans son sang. On court à
Monsieur le Prince, qui fut au désespoir. Monsieur le Duc [fils de Condé]
pleura ; c'était sur Vatel que roulait tout son voyage de Bourgogne. Monsieur
le Prince le dit au roi fort tristement. On dit que c'était à force d'avoir de
l'honneur en sa manière. On le loua fort. On loua et blâma son courage. Le roi
dit qu'il y avait cinq ans qu'il retardait de venir à Chantilly parce qu'il
comprenait l'excès de cet embarras. Il dit à Monsieur le Prince qu'il ne devait
avoir que deux tables et ne se point charger de tout le reste ; il jura qu'il
ne souffrirait plus que Monsieur le Prince en usât ainsi.
Mais c'était trop tard pour le pauvre Vatel. Cependant Gourville
tâche de réparer la perte de Vatel ; elle le fut On dîna très bien, on fit
collation, on soupa, on se promena, on joua, on fut à la chasse. Tout était
parfumé de jonquilles, tout était enchanté. Hier, qui était samedi, on fit
encore de même. Et le soir, le roi alla à Liancourt, où il avait commandé un
médianoche ; il y doit demeurer aujourd'hui.
Voilà ce que Moreuil m'a dit, pour vous mander. Je jette mon
bonnet par-dessus les moulins, et je ne sais rien du reste. M. d'Hacqueville,
qui était à tout cela vous fera des relations sans doute, mais comme son
écriture n'est pas si lisible que la mienne, j'écris toujours. Voilà bien des
détails, mais parce que je les aimerais en pareille occasion, je vous les
mande.
2005 la chaumière promue manoir
Aujourd’hui, après de nombreuses transformations, fusions,
additions, restructurations, réhabilitations, démolitions et redémolitions, ce
qui fut jadis la maison de campagne du percepteur d’impôts du roi est entré
dans le domaine public pour servir de centre communal de loisirs. On va y
pratiquer la musique – la classique et la moderne -, la danse –la moderne et la
classique-, le macramé, la peinture sur soie, le scrabble, la belote, le bridge
et bien d’autres choses utiles comme inutiles mais qui rendent la vie vivable.
C’est en 1920 que ce qui avait été jusqu’alors qualifié de maison,
a été promu manoir par la
nouvelle propriétaire. C’était l’époque où l’on donnait des noms aux
habitations. La modestie régnait et les plaques émaillées placées près de la
porte d’entrée la traduisait. On y lisait : Villa mon rêve, Nid
douillet, Mon désir, Sam
suffit, Ker Lulu, etc. La
comtesse Pellerin de Latouche –noblesse oblige- a opté pour le Manoir
du Vieux Logis. Cette appellation a été maintenue par l’administration
municipale et gravée sur cuivre aux entrées des bâtiments modernes. On y
respire ainsi ce subtil arôme d’Ancien Régime dont se parfument volontiers les
Républicains d’aujourd’hui.
Les onze arpents plantés d’arbres
fruitiers, vignes et bois de futaie ont été lotis et remplacés à partir de 1928 par une
quarantaine de pavillons et la forêt de poteaux, antennes, paraboles, câbles,
qui va avec. Les couchers de soleil restent certainement aussi beaux qu’au
temps des rois même si on n’aperçoit plus la tour de Montlhéry au loin.
Antennes, câbles, paraboles sont venus apporter la civilisation et la
communication avec le monde : la télévision, le téléphone.
Et l’Internet sans quoi cette page n’existerait pas.
couchers de soleil sur le Vieux Logis à
Villemoisson-sur-Orge photos
m.s.s.
édition du 19 novembre 2005