1916
à Villemoisson
La
carte postale reproduite ci-dessus nous montre un endroit du Villemoisson au
début du XXè siècle qu’on ne sait aujourd’hui reconnaître. Les attelages qu’on
y voit sont probablement ceux de bûcherons employés à détruire définitivement
la forêt de Séquigny en vue de sa division en lots pour la construction de
pavillons.
Cette
carte a été adressée le 3 avril 1916 par Ernest Clément (on sait son nom grâce
à d’autres cartes qu’il a envoyées de Villemoisson) à Juliette, probablement sa
femme, une Parisienne qui habitait dans le 18ème arrondissement de
Paris. Le cachet qui y figure est celui des G.V.C. (Gardes des Voies de
Communication) ces soldats territoriaux âgés, qui étaient chargés à l’arrière
de la surveillance des ponts et des voies de chemin de fer et qui ont laissé
une trace de leur passage en gravant leurs noms sur les pierres du pont de
chemin de fer de Villemoisson.
Le
texte laisse supposer que la veille, un dimanche, Juliette, est venue à
Villemoisson rendre visite à Ernest et qu’elle était accompagné d’une autre
personne –sans doute un enfant- Ils ont fait ensemble une longue promenade dans
la forêt qui commençait à être lotie ou au bord de la rivière et en sont
rentrés bien fatigués.
1916
Le
29 janvier un Zeppelin lâche des bombes sur Paris. Vingt-six morts. Sur le
front, à l’est comme au nord du pays, la guerre fait rage, Verdun, le fort de
Douaumont, le fort de Vaux, la Somme sont des noms qui reviennent tout au long
de cette année dans les communiqués. Conquête de ces lieux stratégiques, puis
abandon, et reconquête se succèdent laissant sur place ruines, morts et
blessés. Bien plus de deux millions de tués, français, britanniques et
allemands, au cours de ces seules batailles.
après la bataille Photo Hurley
1916
deux ans déjà
Au
mois d’août 1916 se termine la deuxième année du conflit. A cette occasion le
général Joffre, commandant en chef des armées, adresse aux troupes cet ordre du
jour :
Le général Joffre
Soldats de la République,
Votre troisième année de guerre commence.
Depuis deux ans, vous soutenez sans
faiblir le poids d’une lutte implacable.
Vous avez fait échouer tous les plans de
nos ennemis ; vous les avez vaincus sur la Marne, vous les avez arrêtés
sur l’Yser, battus en Artois et en Champagne pendant qu’ils cherchaient
vainement la victoire dans les plaines de Russie.
Puis, votre résistance victorieuse, dans
une bataille de cinq mois, a brisé l’effort allemand devant Verdun.
Grâce à votre vaillance opiniâtre, les
armées de nos alliés ont pu forger les armes dont nos ennemis sentent
aujourd’hui le poids sur tous les fronts. Le moment s’approche où, sous notre
poussée commune, s’effondrera la puissance militaire allemande.
Soldats de France, vous pouvez être fiers
de l’œuvre que vous avez accomplie déjà ! Vous êtes décidés à l’accomplir
jusqu’au bout ! La victoire est certaine !
J. JOFFRE
1916
Le
24 mars 1916, à 1 heure et demie de l’après-midi, le Sussex, bateau du
service maritime des chemins de fer de l’Etat français qui effectue la liaison
entre Folkestone et Dieppe, est coupé en deux par une torpille lancée sans
sommation d’un sous-marin allemand. L’explosion de l’engin tue une partie des
passagers situés à l’avant, provoque la panique, des embarcations sont mises à
la mer, certaines se retournent et se noient.
Le
reste du bateau continue à flotter mais sans pouvoir communiquer avec
l’extérieur, l’antenne de TSF étant tombée. Une réparation de fortune permet de
lancer un SOS vers 17 heures. L’arrière du Sussex sera finalement
remorqué jusqu’à Boulogne-sur-Mer dans la nuit.
La
coupure de l’avant du Sussex : vue prise après l’échouage dans le petit
port de Boulogne-sur-Mer
L’Illustration
A bord du Sussex il y avait au départ, d’après son
capitaine, 325 passagers environ et 53 hommes d’équipage. Des gens de toutes
nationalités : beaucoup de Français sans doute, mais aussi, quelque 25
citoyens des Etats-Unis d’Amérique. Le nombre de morts se situe selon les
sources entre 80 et 100. Parmi eux, Enrique Granados, le déjà célèbre pianiste
et compositeur espagnol, dont un air de danse illustre musicalement cette page.
Enrique Granados (1867-1916)
je nourris un
monde de projets….
Ce 24 mars 1916 Enrique Granados, embarque dans le Sussex
pour rejoindre Paris. Il vient de présenter à New-York son opéra Goyescas,
inspiré par les œuvres picturales de Goya. Il a rencontré là-bas un énorme
succès. Il écrit :
« Enfin, j'ai vu mon rêve réalisé... Il est vrai que
ma tête est pleine de cheveux blancs, et que je commence à peine mon œuvre,
mais j'ai confiance et je travaille avec enthousiasme...Toute ma joie actuelle,
je la ressens plus pour ce qui doit venir que pour ce que j'ai fait jusqu'ici.
Je songe à Paris et je nourris un monde de projets. »
Réfugié sur un radeau, il se jettera à l’eau pour secourir
sa femme et périra avec elle.
Léon Albert Isma Morin 1881-1916
Léon Morin est l’un des anonymes, un des six marins membres
de l’équipage qui ont péri ce jour-là dans le torpillage du Sussex.
Marin depuis toujours, il avait déjà servi sur ce paquebot en Janvier 1914
quand, jadis britannique, le bateau avait pris le pavillon français. A la
déclaration de guerre, en août 1914, Léon avait été réquisitionné pour naviguer
sur le Rouen. Libéré en raison de son âge (35 ans) il venait de
rembarquer sur le Sussex le 14 mars 1916. Seulement dix jours avant le
torpillage.
Le Sussex vers 1904
Le procès verbal de disparition ci-dessous établi dès le
lendemain du torpillage par M. Auguste Mouffet, capitaine du Sussex, décrit le
déroulement des événements, comment il a tenté d’éviter la torpille, y a réussi
partiellement, la pagaïe qui a suivi l’explosion, le sectionnement du bateau et
ses conséquences sur le nombre de victimes.
Parmi elles : six marins , membres de
l’équipage : Edouard Vincent, Auguste Brice, Arsène Carel, François
Michel, Jean Gouriou, Léon Morin.
Les marins du Sussex à Dieppe
Collection Francis Bouquet
Ces documents, probablement inédits,
nous ont été confiés par Francis Bouquet, le petit-fils maternel de Léon Morin
qui parle ainsi de lui :
« Je n’ai pas connu ce grand-père
mort trop tôt, et ma mère, sa fille, qui n’avait que cinq ans et demi lors de
sa disparition, m’en a très peu parlé. Je sais seulement qu’il était fils de
fermier et que ses parents ne voulaient pas le voir naviguer. A cette époque la
terre était considérée comme un placement sûr et de voir leur fils adopter un
métier d’aventurier ne leur plaisait guère. Il fit quand même son service
militaire sur plusieurs navires de la
Marine Nationale : le Saône, l’Estoc, le Kersaint, le Rouen, et
plusieurs périodes de dépôts, le tout du 27 février 1901 au 27 décembre 1904.
Ensuite, il connut ma grand-mère, eut
deux enfants : ma mère en 1910, mon oncle en 1912. Libéré du joug
parental, il repartit dans la marine marchande du 20 juin 1907 au 14 mars 1916,
jour du torpillage du Sussex. Décoré de la Croix de guerre avec étoile de
bronze à titre posthume, il avait déjà reçu de la Société des sauveteurs
Dieppois une médaille de bronze pour avoir sauvé un enfant de la noyade.
Il n’était que matelot, mais j’aurais
aimé le connaître et parler avec lui de la mer, moi qui ai fait une carrière de 38 ans sur les navires de la
marine marchande. »
Woodrow
Wilson
Président des Etats-Unis d’Amérique de 1912 à 1920
Je n’ai pas
élevé mon garçon pour en faire un soldat
En
1916 les citoyens des Etats-Unis d’Amérique sont plutôt partisans du
non-interventionnisme à l’image du Président M. Woodrow Wilson qui sera
d’ailleurs réélu en novembre 1916 grâce au slogan : "He kept us
out of the war" (Il nous a maintenus hors de la guerre).
Mais,
parmi les civils que transportait le Sussex, il y avait 25 citoyens de son pays
dont deux ont trouvé la mort dans ce qui sera considéré comme une provocation.
Le
20 Avril l’Amérique demande aux Allemands qu’ils cessent immédiatement la
guerre sous-marine : "Le gouvernement des Etats-Unis a eu une
attitude très patiente. Il est obligé de déclarer aujourd’hui au Gouvernement
impérial que l’emploi des sous-marins pour la destruction du commerce ennemi
est absolument inconciliable avec les principes d’humanité, les droits
incontestables des neutres et les privilèges sacrés des non-combattants… A
moins que le Gouvernement impérial n’annonce immédiatement qu’il abandonne les
méthodes de guerre actuelles, le gouvernement des Etats-Unis n’aura d’autre
alternative que la rupture des relations diplomatiques avec l’Empire allemand"
Dans
un premier temps les Allemands reconnaissent la faute et s’inclinent. Mais dès
octobre ils reprennent la guerre sous-marine qui ira ensuite en s’amplifiant.
1916
un bon conseil :
Publicité pour l’Aspirine parue dans L’Illustration en 1916
2006
Villemoisson à l’heure de l’euro
En
2005 l’Allemagne et la France ont monnaie commune. L’Aspirine (Aspirin),
invention allemande, mise en fabrication par l’entreprise BAYER en 1900, a
rapidement connu un énorme succès commercial et son emploi s’est très vite
mondialisé. Plus tard le médicament a subi une régression à cause de la
découverte de nouveaux médicaments anti-douleur ne présentant pas d’effets
secondaires néfastes. Puis une remontée a eu lieu quand on a trouvé à
l’aspirine de nouvelles applications sous de nouvelles conditions d’utilisation.
Aujourd’hui elle est pratiquement redevenue monopole de l’entreprise à la croix
de Leverkusen.
Les
bois où Ernest est allé se promener avec sa femme en 1916 ont disparu. Le
village alors encore campagnard d’alors est devenu ville-dortoir de la banlieue
parisienne qui a depuis quelques années pour « Partnerstädte »
la ville allemande de Bad Schwartau en Schleswig -Holstein. Des échanges ont
lieu et on s’invite mutuelle aux fêtes locales.
Eine andere Partnerstadt von Bad Schwartau ist Villemoisson sur Orge in
Frankreich. Diese Stadt besuchten wir in den Herbstferien 2001 um dort unser
Können unter Beweis zu stellen. Eine Tanzgruppe aus VsO war vorher anläßlich
des Kulturfestes im September 2001 in Bad Schwartau.
Site
internet de Bad Schwartau
Bad
Schwartau Le tribunal
etc.
Sur Internet on trouvera facilement quelques extraits et interprétations de la très belle musique de Granados.
Pour poursuivre via Internet le voyage en 1916 du côté américain (affaire du Sussex, élection présidentielle, chansons, images) on pourra se rendre sur le site : http://www.firstworldwar.com/
ainsi que sur : http://www.authentichistory.com/
On écoutera I don’t raise my boy to be
a soldier en V.O sur :
http://www.authentichistory.com/ww1/music/Morton_Harvey-I_Didnt_Raise_My_Boy_To_Be_A_Soldier.html
Ten million soldiers to the war have gone
Who may never return again;
Ten million mothers' hearts must break
For the ones who died in vain
etc.
Edition du 26 juin 2007