tableau
de l’état actuel
de l’instruction
primaire
en France
présenté au Roi par M. Villemain
Ministre de l’Instruction Publique
en novembre 1841
Le « Tableau
de l’état actuel de l’instruction primaire présenté au Roi par M. Villemain,
Ministre de l’instruction publique » dont on va donner ci-après un
bref aperçu est daté de novembre 1841. Il est donc très proche de l’époque qui
nous concerne ici et, de plus, il émane de l’administration dont les
inspecteurs irritaient tant le maire de Villemoisson, Monsieur Maurey.
La rapport est intéressant parce qu’il est bien
écrit, qu’il est court et qu’il nous aide par tous les détails qu’il comporte à
percevoir la réalité d’un passé qu’on connaît mal, très éloigné de nous à
certains égards, très proche à d’autres.
Il y a toujours danger lorsqu’on résume un texte de
retenir ce qui amuse, irrite ou étonne aujourd’hui en négligeant ce qui informe
sur le passé. On n’y échappera sans doute pas non plus ici. Mais, le lecteur
épris de vérité historique pourra toujours trouver la totalité de la V.O. du Tableau
de Monsieur Villemain sur le
site des ressources numériques de la B.N.F. Les
sous-titres que l’on verra ci-dessous ne sont pas du ministre. Ils sont là
simplement pour aérer le texte
du nombre des écoles et des écoliers, des
garçons et des filles ; des moyens
de combattre les dangers de la promiscuité
Dans le Tableau on trouve, comme dans bien des
rapports administratifs, de nombreux chiffres, qui, comme tous les chiffres,
sont à la fois significatifs mais aussi trompeurs. Ils nous disent ce qui était
statistiquement, mais ne nous expliquent pas les raisons de cet état. Surtout
que parfois ils prennent le plaisir de se contredire plus ou moins entre eux.
Aussi, on va en donner ici quelques uns sans y ajouter trop de commentaires et
en laissant le visiteur y aller de ses propres hypothèses.
Par exemple, dans le rapport ; on nous dit
qu’en 1840 on trouve dans les écoles françaises 2.881.679 (garçons et filles),
soit 1.912.339 enfants de plus qu’en 1829. Mais le document précise: « Ce
nombre , toutefois, ne persiste pas toute l’année, et éprouve même une
très-grande variation qui tient aux travaux des champs » Les chiffres
du rapport, toujours à l’unité près, déterminent un absentéisme en été de
l’ordre de 39% chez les garçons et de 36% chez les filles.
D’autres statistiques nous apprennent que l’école n’est
pas fréquentée de la même façon par les garçons et par les filles. Et le fait
que ce soit un instituteur ou une institutrice qui dirige l’école change
tout :
En
1840, on compte :
Dans
les écoles communales et privées dirigées par un instituteur :
Garçons : 1.607.013
Filles : 444.356
Dans
les écoles communales et privées dirigées par une institutrice :
Garçons : 34.394
Filles :
795.916
Total
2.881.679
Les écoles tenues par des instituteurs communaux
sont au nombre de 30.785 en 1840 contre 29.313, l’année précédente soit une
augmentation de 1.472.
Parmi ces 30.785 écoles :
-
12.486 sont spécialement affectées aux garçons
-
18.299 sont communes au deux sexes
Le Ministre ne pense pas que du bien de cet état de
fait, tout en reconnaissant le manque de moyens de certaines communes pour
changer les choses :
Cette
communauté des écoles pour les deux sexes présente des inconvéniens et des
dangers. L’administration s’efforce de prévenir les uns et les autres, en
exigeant que les filles soient toujours séparées des garçons par une cloison,
dans les écoles où les deux sexes sont admis simultanément, et en invitant les
communes à établir des écoles particulières pour chaque sexe, autant que cela
est possible.
de l’éducation physique et des locaux
insalubres
En évoquant les sacrifices financiers nécessaires
pour l’amélioration des locaux et du matériel, Monsieur Villemain écrit :
L’instruction
primaire n’y est pas seule intéressée. On sait l’influence que les conditions
de l’éducation physique des enfans ne manquent jamais d’exercer sur leur
existence toute entière. Lorsque les enfans sont réunis dans des locaux trop
étroits, mal aérés, bas et humides, ne doit-il pas en résulter pour leur santé
des conséquences funestes, qui peuvent devenir plus tard des causes de débilité
dans la constitution, d’exiguïté dans la taille, de brièveté dans la vie ?
Et le Ministre dit qu’il a demandé à un inspecteur
général d’étudier la question et parle aussi du problème des moyens matériels
d’étude et du mobilier scolaire souvent incomplet et défectueux.
des méthodes d’enseignement et des livres
Les méthodes d’enseignement sont examinées une par
une et font l’objet de statistiques qui établissent que :
- le mode d’enseignement individuel, « qui
n’est pas une méthode » est en régression : 4375 instituteurs la
pratique contre 6922, trois ans avant, « pour la plupart trop âgés pour
changer leurs procédés et pour se plier à un art nouveau, fût-il moins pénible »
- la méthode d’enseignement simultané est en
progrès : 26.038 pratiquants contre 21.875.
- la méthode mixte est en baisse : 6403 écoles
contre 7046, après avoir eu la cote dans la période triennale précédente.
- la méthode mutuelle s’effondre. Elle est passée en
6 ans de 1905 écoles à 940. Le rapport dit : « elle a cessé de
s’étendre ». Cela fait visiblement de la peine à Monsieur Villemain
qui consacre tout un chapitre à ce système pour dire tout le bien qu’il en
pense et les aides qu’il lui a apportées « avec empressement ».
L’enseignement mutuel d’après des gravures
d’époque
M.S.S. 2003.
On en
profitera pour dire au passage ce qu’était cet enseignement dit mutuel,
institué paraît-il pour suppléer le manque d’enseignants en transformant les
meilleurs élèves en adjoints de l’instituteur. Cette méthode a suscité un temps
un véritable engouement pour être abandonnée vers 1850.
Les enfants
étaient rassemblés en très grand nombre (parfois plus d’une centaine) dans un
immense local et installés par rangées de 15 à 20 tables sous la conduite d’un
moniteur. Un ordre absolu régnait dans la classe et le maître à coups de
sifflet dirigeait les mouvements des élèves et la succession des différents
apprentissages. Les élèves-moniteurs fréquentaient deux heures par jour des
classes où on leur apprenait ce qu’ils allaient ensuite devoir transmettre à
leur tour. Ils dirigeaient les enfants, avaient le pouvoir de les punir. Leur
rôle consistait surtout à faire apprendre par cœur des réponses à des séries de
questions.
A propos des encouragements portés à la méthode
mutuelle le Ministre précise :
Mais
là se borne l’influence de l’administration : elle doit favoriser tous les
efforts de zèle et de travail, elle ne peut prescrire exclusivement aucune
méthode.
Mais, il ajoute aussitôt qu’il ne peut en être ainsi
du choix des livres, qui ne saurait être abandonné à la seule volonté de
l’instituteur, des ouvrages à l’abri de tout reproche moral, proposés par une
commission spéciale et approuvés par le conseil royal de l’instruction
publique : 554 ouvrages en tout.
du nombre d’instituteurs et
d’institutrices, des augmentations de salaires nécessaires
Les enseignants sont en tout 62.859 : 40504
instituteurs, 22355 institutrices.
Le tableau suivant récapitule les chiffres données
par le rapport qui répartit les enseignants en hommes, femmes, laïcs, religieux, et selon la nature de
l’établissement.
hommes femmes totaux
Ecoles communales {laïcs 31.147
2.650 33.797
{religieux 1.590
5.356 6.946
Ecoles privées {laïcs
7.221 9.334 16.555
{religieux 546
5.015 5.561
Totaux 40.504 22.355 62.859
Un long chapitre du rapport est consacré à la
condition matérielle des instituteurs et de « l’extrême parcimonie dont
les conseils municipaux usaient à leur égard » où il signale que des
dispositions ont été prises à cet égard et que dorénavant les délibérations des
conseils municipaux relatives au taux de la rétribution mensuelle et au nombre
d’élèves à recevoir gratuitement ne seraient définitives qu’après approbation
des préfets.
Ces derniers recevaient le pouvoir de fixer un
minimum pour la rétribution et un maximum pour le nombre d’admissions
gratuites. Mais, craignant qu’une rétribution annuelle trop élevée ne détourne
plusieurs pères de famille d’envoyer leurs enfants à l’école, le ministre
recommandait aux préfets d’être fermes dans l’amélioration de la situation des
instituteurs, il leur rappelait aussi « la nécessité de rester, à
l’égard de ces maîtres, dans les limites d’une protection modérée. »
Le rapport ajoute qu’il est permis de penser
qu’ainsi (en augmentant la rétribution payée par les parents et en diminuant le
nombre de non-payants) il devrait être possible d’éviter l’augmentation du
traitement fixe des instituteurs, l’appel des communes aux subventions des
départements et de l’Etat, l’augmentation des impôts, etc.
des écoles normales, de l’esprit religieux
et moral, de la droiture des principes et de la simplicité des attitudes
Les écoles normales (2468 élèves en 1840) font
l’objet d’un long chapitre du Tableau. On en extraira quelques
passages :
« Les
écoles normales sont le point le plus important de toute l’instruction
primaire. L’influence salutaire ou fâcheuse qu’elles peuvent avoir a dû
préoccuper les esprits graves … »
« Bien
réglées et renfermées dans de justes limites, les écoles normales formeront des
maîtres zélés pour leur fonction et sachant les honorer, possédant les
connaissances utiles et l’art de les communiquer, et concourant puissamment à
l’éducation morale et au bien-être d’une immense population. Si, au contraire,
l’enseignement de ces écoles était mal ordonné ou trop développé sur quelques
points ; si les prétentions d’un faux savoir y remplaçaient les
connaissances saines et positives ; si l’esprit religieux et moral, la
droiture des principes, la simplicité des habitudes, n’y dominaient pas, on
pourrait craindre que la société ne fût plus troublée que secondée par tant
d’instituteurs qui seraient mécontens
de leur état et n’en connaîtraient pas les devoirs et le but. »
Le ministre énumère ensuite sur plusieurs pages toutes
les mesures prises pour « agir utilement sur les écoles
normales » : règlements, discipline, choix des directeurs, contrôles,
inspections, sanctions, surveillance, financement etc. Il se félicite de l’installation de ces
écoles sur tout le territoire ce qui :
« …
les met plus en rapport avec leur destination, et les rend plus accessibles aux
candidats qu’il importe d’y attirer, à des jeunes gens laborieux et pauvres du
canton ou de la ville, qui se forment ainsi sous les yeux de leurs concitoyens,
et ont besoin de s’en faire estimer par une conduite irréprochable »
En ce sens, il approuve l’installation d’internats
dans des établissements « convenables sans superfluité ».
« L’administration
n’a pas oublié que les élèves qui sortent des écoles normales primaires sont
destinés en général à vivre, dans de petites communes, d’une vie laborieuse et
modeste ; elle a senti qu’après les avoir reçus de parents pauvres pour
les préparer à cette vie, il ne fallait pas les rendre au monde avec des
besoins qui leur étaient auparavant inconnus ; aussi leur fait-on
contracter l’habitude de se passer de tout service étranger. Il n’y a aucune
école normale primaire où les élèves ne soient chargés eux-mêmes des soins de
propreté qu’exige la tenue des classes et des dortoirs ; chacun d’eux
contribue tour à tour à l’arrangement matériel et au ménage de la maison. Nulle
fausse honte ne les arrête dans ces humbles travaux d’ordre intérieur, que
presque tous ont pratiqué dans leur famille, et dont souvent ils ne seront pas
exemptés plus tard. »
de choses diverses
Bien d’autres sujets sont abordés dans le rapport
comme les écoles spéciales confessionnelles : catholiques, protestantes ou
israélites ; les écoles « d’asyles » pour les démunis,
les écoles primaires supérieures. D’autre part, il comporte bien d’autres
détails et statistiques que ceux évoqués ici.
de la plus grande des améliorations
sociales du règne
C’est en s’adressant au
Roi des Français que le Ministre conclut son rapport:
… Je n’ai
pas dissimulé les efforts et les sacrifices qui restent à faire pour réaliser
pleinement l’objet de la loi de 1833, et pour achever une tâche si avancée.
Toutefois, dans sa tendance générale des sociétés actuelles vers le bien-être
et l’industrie, il est satisfaisant de dire que nulle part, dans un intervalle
aussi court, on n’a fait autant qu’en France pour l’instruction du peuple.
Sire, s’accomplit chaque jour un des bienfaits de votre avènement ; et,
dans quelques années, votre règne tutélaire aura complété une des plus grandes
améliorations sociales que puisse recevoir une nation intelligente et
généreuse.
Je suis, avec un profond respect,
Sire,
De Vôtre Majesté
Le très humble, très obéissant et fidèle serviteur,
Le Pair de France, ministre
secrétaire d’Etat au département de
l’instruction publique, grand
maître de l’université,
Villemain
Sources et ressources
Comme il a été dit plus haut, on trouve en version
« image » le texte intégral du Tableau de Monsieur Villemain
sur le site des ressources numériques de la B.N.F. : http://gallica.bnf.fr
édition 15 février 2003